Biographie de Paul-Émile BORDUAS

Paul-Émile Borduas, autoportrait

 

BIOGRAPHIE

En moins de 20 ans,  Borduas a fait transiter l’art canadien du régionalisme provincial à une situation internationale dont il se situe à la pointe. Son évolution personnelle lui fait envisager plusieurs phases successives : la rupture avec la figuration via l’automatisme; puis l’approfondissement new-yorkais (1953-1955); enfin, le questionnement des concepts fondamentaux de sa peinture à Paris (1955 à 1960).

Borduas, dès le début des années 40, veut concevoir une peinture en prise directe avec l’inconscient. Il le fait en assumant une situation historique et sociologique douloureuse qui celle du Québec d’alors. Aucune œuvre artistique, prévient François-Marc Gagnon en ouverture au catalogue de l’exposition de 1988 au Musée des beaux-arts de Montréal, ne s’est élaborée dans le vide. Celle de Borduas moins que toute autre.

L’impact est radical. À l’audace de ces dernières œuvres où Borduas renouvelle son style, s’ajoute l’aura du héros culturel canonise par son retranchement sans concession d’un “Canada français” traditionaliste qui l’a rejeté. Cette mort en solitaire dans l’éloignement de son pays, en quête d’oxygène et de stimulation intellectuelle à Paris, fait image. Avec elle culmine une hagiographie qui drape Borduas en victime de l’intolérance et de la chasse aux sorcières.

À Paris, il écrit à Agnès Lefort en janvier 1960, “Ma peinture devient de plus en plus sévère. Noir et blanc simplifié: je n’y peux rien. C’est ma fatalité”.

Dans ses dernières œuvres, quelquefois tempérées au gris ou affleurées d’autres valeurs colorées, le blanc et les surfaces sombres maçonnées en bloc et découpées à la dérive semblent s’engoncer solidement ou flotter avec précarité. Cet univers plastique “réversible” est tantôt opaque et transparent, lisse ou rugueux, mat ou scintillant. Il se fait à la fois mur et ouverture. Les toiles s’associent tout autant à une fixité lancinante qu’à un improbable surgissement. Borduas explore cette tension entre structure et geste. Le critique d’art français Charles Delloye fut la cheville ouvrière de cette reconnaissance européenne – que la mort interrompt – par un musée dont le dynamisme est alors reconnu de tous à l’échelle internationale. “Borduas questionne l’ensemble du monde de la peinture et de sa création : forme, sens, écriture, acte fondateur”, écrit Delloye dans ce même catalogue d’Amsterdam.

Dans une lettre à Claude Gauvreau, Borduas écrit en 1957 «  Le Surréalisme, l’automatisme ont pour moi un sens historique précis. J’en suis maintenant très loin, ils furent des étapes que j’ai dû franchir. En expectation qualifierait mieux l’état présent ». L’automatisme aura été pour Borduas une façon d’évacuer les conventions picturales. Le mouvement s’initie avec l’exposition de ses gouaches à l’Ermitage en 1942. Avec ses proclamations incantatoires, ce texte fondateur qu’est Refus global écrit par Borduas en 1948, en constitue paradoxalement la conclusion à venir. Lié à l’inconscient, le geste dynamite une chape de plomb paralysante. S’abandonnant à l’accident, recourant à la sensation brute, les peintres de cet « Egrégore », Borduas en tête, participent ex-nihilo au développement de la matière à partir du chaos. Ils réorganisent à leur profit institutions et magma pictural. Les œuvres automatistes de Borduas tout comme celles de ses camarades, peintres ou poètes, écrit Michel Van Shendel « ont soif de commencement obscur, de ce qui est vierge et premier ». Les Borduas de cette époque se caractérisent par une prédilection pour les petites touches vives à l’onctuosité minérale. Effets de plumes ou griffes à la spatule nagent dans l’espace parfois au sein de verts étranges et des tons terreux et assourdis mais pourtant irréels. L’atmosphère est au mystère et à la poésie.

Dans la monographie qu’il consacre à Borduas en 1943, Robert Élie témoigne avec enthousiasme de ce « premier grand voyage d’un peintre canadien évoluant vers l’abstraction ou plutôt vers cet art spontané ». Repoussant au-delà du surréalisme, « les frontières de nos rêves », guidé par l’art des enfants,  ce que Borduas découvre est ni plus ni moins l’une des formes les plus avancées de l’art contemporain. Harry Bellet, critique d’art au quotidien Le Monde, rendant compte en décembre 2004 de l’exposition La Magie des signes consacrée en région parisienne aux œuvres sur papier de Borduas, observe que Borduas « fut le premier sans doute à avoir usé en peinture du geste automatique destiné au départ par Breton à l’écriture ».

Par cette aventure, c’est non seulement l’art québécois qui entre dans la modernité. La déflagration touche l’inconscient collectif. À travers les couleurs explosives de cette révolution artistique, c’est aussi la contestation des conditions sociales et politiques de la « grande noirceur » qui est en jeu.

 

SUJETS / THÈMES

Borduas cherche à atteindre l’essence même de l’art. Se risquant jusqu’au monochrome, il repousse les limites de la peinture. Peintre avant tout, il ne cesse toutefois d’exalter sa matérialité. Ses surfaces s’entrechoquent, se collent ou se décollent par couches par juxtapositions. Paris est alors subjuguée par les excentriques monochromes d’Yves Klein ou les toiles lacérées de l’italien Fontana avec lequel Borduas se lie. Il se confie alors à l’artiste italien dans une conversation dont Delloye est témoin affirmant qu’il lui est aussi « dur » que « nécessaire » d’aller « au-delà du rien ». En même temps, ces toiles en noir et blanc, cosmiques comme il les désignait, transcrivent le désarroi existentiel d’une époque s’angoissant de la menace atomique. En octobre 1958, Borduas écrit à sa galeriste Martha Jackson à New York. « Une nouvelle vague s’amorce, plus sévère, plus mystérieuse, en expectation. Plus rien ne subsiste du tachisme, de l’Action Painting pour moi ».

Borduas se frotte depuis septembre 1955 au milieu parisien. Ses toiles en s’épurant sont souvent constituées d’une trame à volée traversée en croix d’un contrepoint. Elles amorcent une rupture avec le lyrisme des œuvres antérieures. À New York où il s’établit de 1953 à 1955, sa peinture alors suscite l’admiration de Franz Kline. La confrontation avec la peinture américaine sera un choc. Les peintures immergées de blanc voient l’élan du geste se fusionner en de multiples îlots, fragments ou nuances de gris, de beige, de rouge sur la surface raclée d’un seul venant et rendue ainsi homogène. À travers les blancs cassés et neigeux, les coups de spatule défragmentent la surface auparavant allergique au «  all over ».

 

TECHNIQUES

Avec la cinquantaine de gouache de 1942, Borduas connaît alors sa première expression personnelle. Les formes englobées conservent une résonance figurative. Elles sont soulignées par une écriture syncopée et un parcours gestuel qui se délie. Jaune, bleue, en harmonie de rouges, de roses ou de violets, la couleur en aplats s’enveloppe d’arabesques joyeuses à l’armature sinueuse. Ces œuvres firent sensation.

À New York, Borduas exécute une centaine de gouaches et d’aquarelles. Cette technique ne se retrouve guère dans la production parisienne. Ces œuvres sur papier seraient peut-être pour Borduas une façon d’explorer et de définir des orientations à parachever dans la peinture.

 

EXPOSITIONS

“Borduas, exposition rétrospective”, Galerie Valentin, 11-25 septembre 2010

 

D’après le texte de René Viau pour la galerie Valentin

 




Copyright © 2001 - 2024 Galerie Jean-Pierre Valentin